Le Marin du 2 juin 2006: La SNCM est désormais une société privée
Le Marin du 2 juin 2006: La SNCM est désormais une société privée
http://www.crefmpm.com/article
La SNCM est désormais une société privée
Les nouveaux patrons de la SNCM (de gauche à droite) : Stéphane Richard, secrétaire général de Veolia Transport,
Gérard Couturier, président du directoire de la SNCM, et William Butler, PDG de Butler Capital
La Société nationale Corse Méditerranée est devenue une société privée. Le gouvernement ayant donné son accord et la Commission européenne ayant conclu que cette privatisation n’enfreignait pas de manière significative les règles de la concurrence, la décision a été entérinée par le conseil d’administration, réuni le 31 mai. La SNCM possède donc désormais un conseil de surveillance, un directoire, un capital et un actionnariat. La constitution de ce dernier a cependant provoqué la colère des syndicats, inquiets de voir arriver dans le capital de la compagnie, et de façon majoritaire, un nouveau partenaire financier : le fonds commun de placements à risques France Private Equity III, géré par Butler Capital Partners.
Partant sur de nouvelles bases, la nouvelle compagnie espère maintenant repartir sur des bases plus saines. La suppression de 400 emplois sur les trois années à venir devrait lui permettre de faire des économies substantielles et de conserver sa flotte actuelle. Le but étant de récupérer les parts de marché perdues et, dans un avenir plus proche, d’obtenir la délégation de service public pour la desserte de la Corse.
C’est fait : la nouvelle SNCM est privée
La SNCM a tenu son dernier conseil d’administration sous statut d’entreprise nationale le mercredi 31 mai. Malgré quelques soubresauts sur l’origine de leurs fonds, les nouveaux patrons de l’entreprise privée ont désormais les coudées franches.
À la sortie du conseil d’administration, qui s’est réuni le mercredi 31 mai au matin, la Société nationale Corse Méditerranée n’était plus une compagnie publique mais une société privée. Le gouvernement a en effet autorisé la privatisation de cette compagnie par un décret paru au Journal officiel du dimanche 28 mai.
La SNCM possède donc désormais un conseil de surveillance, qui sera présidé jusqu’à la fin de l’année par Michel Pellissier, le directeur de la Sonacotra (représentant l’État), qui sera ensuite remplacé par un représentant de Butler Capital Partners ; et un directoire présidé cette fois par Gérard Couturier de Veolia Transport.
Il aura surtout un capital et un actionnariat. Et c’est pour la constitution de ce dernier que les choses ont été, une fois de plus, chaotiques, dans cette entreprise empêtrée depuis des mois dans des difficultés. Les syndicats, ainsi que plusieurs administrateurs de la SNCM, se sont en effet insurgés de voir débouler dans le capital de la compagnie (privée) un nouveau partenaire financier : le fonds commun de placements à risques France Private Equity III, géré par Butler Capital Partners, qui n’est pas à proprement parler un fonds de placement mais une société de gestion de ces fonds.
Ce FCPR étant abondé par des capitaux européens à seulement à 10 %, certains administrateurs et des représentants du personnel (lire ci-dessous) ont considéré que la compagnie n’était pas seulement privatisée, mais « bradée à des intérêts étrangers ». C’est le cas de Sixte Ugolini, administrateur nommé par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin et dont le mandat avait été renouvelé par l’actuelle majorité, qui s’étonne de « voir une délégation française de service public assurée par une entreprise qui sera contrôlée par des capitaux étrangers »
France Private Equity Ill (994 actions), et Butler Capital Partners (63 actions), tous deux gérés par William Butler,
sont les principaux actionnaires de la nouvelle SNCM. Mais l’opérateur serait Veolia Transport.
L’ÉTAT PAYE CHER SA SORTIE
France Private Equity III devient en effet le principal actionnaire de la nouvelle SNCM, avec 994 actions, alors que Butler Capital Partners n’en possède pas plus de 63, Véolia 793. Le reste se partage entre le personnel, qui va souscrire 9 % du capital, et 25 % qui demeurent la propriété de l’État1.
Une bien maigre participation, comparée à ce que va lui coûter cette privatisation : les représentants de l’État ont en effet signé, lors du conseil d’administration du 31 mai, un premier chèque de 142,5 millions d’euros afin de renflouer les caisses de la SNCM. Une fortune aussitôt engloutie : une fois les dettes et le passif de la compagnie apurés, ne restaient plus que 37 000 euros I L’État a donc signé un second chèque de 8,75 millions pour sa quote-part à l’augmentation du capital (25 % d’un montant total de 35 millions d’euros). Le reste étant financé par Butler (38 %) et Veolia (28 %) pour leurs parts respectives Mais aussi pour les 9.% destinés eux salariés, sommes qu’ils ont avancées en attendant la mise en place de l’offre réservée aux salariés.
L’État a ensuite signé un troisième chèque de 38,5 millions d’euros, destiné à financer le plan social. Le tandem Butler-Veolia a en effet négocié avec les syndicats la suppression de 400 emplois en équivalents temps plein sur les trois années à venir. Les deux partenaires espèrent ainsi économiser 20 millions d’euros sur la masse salariale, tout en conservant la flotte actuelle, soit dix navires.
« La nouvelle société me parait bien armée pour obtenir de nouvelles parts de marché, rebondir après la crise de l’automne dernier et démontrer à ses clients qu’elle peut se battre pour rester la compagnie délégataire du service public avec la Corse », a déclaré l’ancien président, Bruno Vergobbi, après avoir rendu les clés de la SNCM à Gérard Couturier.
Les réservations étant largement en hausse (jusqu’à 30 %) pour la saison à venir, l’avenir pourrait lui donner raison...
1 En cas d’évolution de la participation de Butler Capital Partners ou de l’État, Veolia Transport pourra acquérir la majorité du capital de la SNCM.
L’ORIGINE DES CAPITAUX DE BUTLER INQUIÈTE LES SYNDICATS
Bernard Marty (CGT) et Maurice Perrin (CGC s’étonnent d’avoir découvert l’existence du fonds
commun de placement à risques deux jours avant le conseil d’administration
« L’arrivée dans le capital de la compagnie d’un fonds commun de placement à risques (FCPR), dont 50 % du capital est d’origine nord-américaine, 40 % asiatique et seulement 10 % européen, est difficilement acceptable, assure à qui veut l’entendre Bernard Marty, le secrétaire CGT du comité d’entreprise de la SNCM. L’État et les repreneurs n’ont pas joué franc jeu dans cette histoire. S’ils nous avaient avertis plus tôt qu’il s’agissait d’un fonds d’investissement dont, qui plus est, les capitaux sont en majorité américains, il aurait été bien plus facile de combattre les arguments de ceux qui étaient pour la privatisation. Nous sommes d’autant plus surpris que nous avons appris l’arrivée de ce nouveau partenaire 1 en lisant l’ordre du jour du conseil d’administration du mercredi 31 mai, celui qui devait voter la privatisation effective... Ce qui nous gêne, c’est de voir débarquer une société financière qui semble bel et bien là pour faire une opération purement financière et non pas industrielle. » Le représentant des salariés au conseil d’administration de la SNCM s’inquiète donc. Il assure qu’ il ne veut pas d’un montage financier aussi opaque que celui de la Corsica Ferries... » Et qu’il restera donc „vigilant sur les intentions du FCPR géré par Butler., Nous nous étonnons enfin que l’État ait trouvé 150 millions d’euros pour recapitaliser la SNCM sous sa forme privatisée, alors qu’elle n’a pas trouvé suffisamment d’argent pour la sauver, du temps où il s’agissait d’une entreprise nationale ».
Tout aussi surpris, le délégué CGC Maurice Perrin « s’étonne d’avoir découvert l’arrivée du FCPR 48 heures avant la réunion du conseil d’administration. Il y a eu une véritable défaillance dans la façon dont le gouvernement et les repreneurs ont présenté les choses. Évidemment, nous savions qui était Butler Capital Partner, c’est-à-dire un fonds dont le métier consiste à acheter des entreprises et à les revendre. Mais pourquoi, techniquement, ne pas nous en avoir parlé avant » ?
Le représentant des cadres reste cependant confiant en l’avenir de son entreprise. « Il ne faut pas oublier que nous avons gagné une bataille, celle du démantèlement. Car le premier projet du gouvernement, où apparaissait déjà Butler, alors allié à Francis Lemor de StefTFE 2 ,consistait à démanteler notre compagnie. Des tentatives avaient déjà eu lieu auparavant, nous avions su nous y opposer. Avec Veolia, que nous sommes allés chercher, nous avons trouvé un véritable partenaire industriel avec un projet d’avenir. Neuf mois après les premiers gros conflits, j’ai le sentiment que nous sortons de la zone de fragilité. »
1Le FCPR France Private Equity 3, géré par Butler Capital.
2 Stef-TFE est actionnaire minoritaire de la CMN mais en est l’opérateur industriel, majoritaire au conseil d’administration de cette compagnie alliée à la SNCM.
|
CORSE : LA SNCM DANS LA COMPÉTITION
Les nouveaux dirigeants de la SNCM escomptent bien remporter l’appel d’offres sur la continuité territoriale. Et espèrent dans la prochaine saison estivale, qui démarre bien.
William Butler, qui gère la société financière éponyme, Stéphane Richard, le secrétaire général de Veolia Transport, et Gérard Couturier, le président du directoire de la compagnie, se sont présentés comme une équipe soudée. Les trois hommes forts de la SNCM privatisée veulent ensemble « redonner à la compagnie le goût de la compétition ».
Première étape, évidemment, la réponse à l’appel d’offres de continuité territoriale. « Nos équipes y travaillent, assure Stéphane Richard. Mais avant de répondre, il faut évidemment relancer le partenariat entre la SNCM et la CMN. Notre objectif est de proposer une offre commune. Ce qui induit évidemment qu’il n’est pas question de vendre les parts (près de 70 %) que nous possédons au sein du capital de cette compagnie. Nous ne voyons pas comment une entreprise pourrait travailler contre son principal actionnaire. Cependant, si nous ne trouvons pas d’accord avec la CMN, nous répondrons pour l’ensemble des lignes... » Il faut comprendre, évidemment, que la SNCM se porterait également candidate pour les lignes assurées aujourd’hui par la CMN.
VEOLIA, ÉLÉMENT STABILISATEUR
Quant à l’éventualité d’un échec, elle lui parait peu probable. « Nous avons envisagé cette hypothèse, mais nous ne croyons pas que cela arrivera. Si nous perdons, nous ne pourrions pas envisager d’abandonner plus de 50 % de notre chiffre d’affaires, d’où l’existence d’une clause résolutoire. »
Sur l’éventualité d’un retrait progressif de Butler du capital de la compagnie, William Butler assure être « présent dans le capital de la compagnie pour un long moment. Nous tenons à demeurer une véritable autorité de management dans l’entreprise, pour qu’elle puisse s’exercer au quotidien. Disons que si l’État reste dans le capital au moins jusqu’à l’attribution du contrat de continuité territoriale, pour notre part, nous partirons le moment venu »...
« Nous avons en effet la volonté de pérenniser l’entreprise sur le long terme, confie Stéphane Richard. Parmi les nouveaux actionnaires, nous tenons en effet à apparaître comme l’élément stabilisateur. »
Reste que les repreneurs surfent sur des réservations, en hausse importante pour ce début de saison. « C’est le début d’une ère nouvelle, s’enthousiasme Gérard Couturier. Il faut maintenant reconquérir des parts de marché. Mais il faudra attendre entre trois et cinq ans pour tirer un véritable bilan de cette privatisation. »
1996-2006 : DIX ANNÉES DE DÉCLIN POUR LA COMPAGNIE NATIONALE
Le déclin de la SNCM a débuté en 1996, avec l’arrivée des premiers bateaux de la Corsica Ferries
Le déclin de la SNCM débute en 1996, avec l’arrivée à Nice des premiers bateaux de la Corsica Ferries durant les périodes les plus rentables de l’année. Commence une importante baisse des recettes, qui dure jusqu’en 2001. À cette date, Pierre Vieu, président de la compagnie publique de 2000 à 2004, présente à l’État une première demande de recapitalisation. L’Europe lance alors une enquête pour vérifier le bien-fondé de cette demande.
Au début 2002, la SNCM reçoit de l’État une « aide au sauvetage » de 22 millions d’euros, somme qu’elle va rembourser quelques mois plus tard. Quant à la recapitalisation définitive, autorisée par Bruxelles, elle tombe en novembre 2003, 66 millions d’euros, conditionnés par l’État et la Commission européenne à la mise en place d’un projet industriel.
GRÈVES À RÉPÉTITION
Ce projet, prévu pour s’appliquer entre 2002 et 2006, ne d porte ses fruits que les deux premières années. Dès 2004, les finances de la SNCM dérapent à nouveau. La compagnie fait face à une forte augmentation du coût d’entretien de ses navires et à une progression de sa masse salariale. Les caisses sont à nouveau vides.
Les embûches ne s’arrêtent pas pour autant : proche des nationalistes, le Syndicat des travailleurs corses et ses quelques dizaines d’adhérents bloquent les bateaux de la compagnie pendant une semaine, en février 2004, pour la « corsisation » des emplois. Rebelote en septembre : mais le conflit dure cette fois-ci trois semaines.
Exsangue, la SNCM est au bord du dépôt de bilan. C’est en tout cas la menace que brandit François Goulard, alors secrétaire d’État aux Transports et à la Mer, qui fait nommer un mandataire ad hoc en janvier 2005. Le ministre évoque alors, dans le cadre d’un plan de sauvetage, l’entrée au capital d’un partenaire privé. La CGT, majoritaire parmi les marins, n’est pas contente, mais si elle lance, fin avril 2005, une grève dans une entreprise moribonde, c’est pour s’opposer au Rif. Cet énième conflit va durer une semaine.
Mais quand François Goulard présente son plan de sauvetage de la SNCM entre juillet et août 2005, il ne s’agit plus de l’entrée d’un partenaire privé mais bien de la vente, à 100 %, de la compagnie publique à un seul repreneur, Butler Capital Partner. C’est alors qu’éclate le plus dur conflit qu’ait jamais connu la compagnie : plus de trois semaines de grève et de violence entre septembre et octobre 2005, marquée par un événement inédit, le détournement par le STC du Pascal Paoli, repris par le GIGN à son arrivée à Bastia.
Au bout de ce conflit, l’État et les syndicats actent la privatisation, telle qu’elle vient de se mettre en place. Avec notamment, la direction opérationnelle confiée à Veolia Transport.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire